Interview
Cet entretien au sujet de mon enseignement en milieu pénitentiaire est paru en anglais dans la Viniyoga newsletter du mois d'octobre 2019

Qu’est-ce qui vous a amené au Viniyoga ?
J’ai commencé à m’intéresser au Yoga en découvrant les « Yoga-Sutra » de Patanjali. J’ai très vite compris que j’avais un chemin à faire dans le Yoga.
Un an plus tard, je cherchais un cours de Yoga sans connaitre ni les traditions ni les approches différentes. Après 2-3 lieux de cours sans passion, j’ai rencontré une enseignante de Viniyoga merveilleuse. C’était il y a une vingtaine d’années !
Je n’ai donc pas démultiplié les cours de Yoga avec des approches différentes. Je me suis « simplement » écouté ; c’est ce qui m’a amené au Viniyoga, une tradition forte avec laquelle le dialogue intérieur est possible. J’ai pu tisser un lien puissant avec cette tradition !
Le Viniyoga me permet de rencontrer mon être profond et complexe. Le Viniyoga me permet ainsi « de tenter de le faire vivre » dans mon quotidien.
Comment en êtes-vous arrivé à enseigner le Viniyoga en prison ?
J’ai travaillé de nombreuses années comme travailleur social dans les secteurs de la « grande précarité » et des « assuétudes ». J’ai travaillé notamment comme travailleur de rue ou comme coordinateur de service social. J’ai plusieurs fois travaillé dans des prisons, pour mettre en place des projets de prévention notamment.
Donc, je pense avoir une aisance et une certaine connaissance de ce contexte carcéral.
Il y a six ans, j’ai proposé mes services auprès de la direction de la prison d’Arlon (sud de la Belgique), une maison d’arrêt et de peine uniquement pour hommes.
Un an plus tard, la direction me contactait pour y intervenir. Cela fait donc près de cinq ans que j’y vais toutes les semaines.
Quel type de travail faites-vous avec les prisonniers ? A quelle fréquence les rencontrez-vous ?
Depuis le mois d’avril 2015, je me rends toutes les semaines à la prison d’Arlon. J’y rencontre un groupe d’hommes, de 5 à 12 individus. Certains sont à la Maison d’arrêt (en attente du jugement et condamnation éventuelle) d’autres sont à la Maison de peine (la condamnation est prononcée).
Le groupe étant assez mobile, je dois m’adapter en permanence. Les détenus peuvent quitter la prison : ils sont soit libérés soit transférés ; et cela peut se décider et s’organiser en très peu de temps. Les détenus peuvent également être absents du groupe pour bien d’autres raisons (baisse de moral, dépression, repli sur soi, en isolement, problèmes de santé, etc.). De même, les détenus peuvent souhaiter intégrer le cours de Viniyoga car il s’agit d’une activité qu’il leur permettra de sortir de cellule.
Je dois donc composer avec de nombreux paramètres qui rendent les processus d’accompagnements très « volatiles ». Cela m’oblige également à rester humble dans mon approche et mes ambitions.
Néanmoins, je peux travailler avec un même groupe d’individus durant 2 ou 3 mois. Je propose des séances d’1 heure selon le principe d’adaptation du Viniyoga à ce contexte et à ces individus : découvrir sa respiration, découvrir et accepter sa propre individualité (ses limites et ses ressources), expérimenter la connexion à soi, vivre des modifications corporelles et mentales suite à la pratique régulière, etc.
Très rapidement, je peux leur proposer certains mouvements corporels et respiratoires à pratiquer en cellule sachant qu’il ne leur est pas permis d’avoir un tapis de Yoga dans leur propre cellule. Pour cela, je rencontre un court instant individuellement les personnes lors d’un cours collectif, ainsi je peux leur remettre une courte séance à pratiquer au quotidien et qui peut se faire à plusieurs moments de la journée.
Malgré mes demandes auprès de la direction, il ne m’est pas (encore) possible de suivre les détenus dans un cadre individuel.

Les prisonniers acceptent-ils le Viniyoga ?
La majorité des détenus n’ont jamais pratiqué de Yoga auparavant. Certains ont déjà pratiqué lors de cours de yoga dans d’autres prisons, mais rarement.
Lorsqu’ils franchissent la porte du cours pour la première fois, ils ont déjà effectué un effort considérable : en questionnant le regard qu’eux-mêmes et que les autres portent sur le Yoga !
Ils sont donc ouverts et curieux de découvrir cette approche progressive et multiple dans les outils disponibles. Certains s’en détournent mais nombreux aussi sont ceux qui soulignent la puissance d’une séance de Viniyoga !
Comment le Viniyoga a pu aider les prisonniers à se transformer ?
Le Viniyoga a certainement amorcé un changement et une transformation chez certains détenus. La discipline respiratoire et la connexion à soi sont des expériences « utiles » pour tout un chacun.
Je pense que nous devons rester humbles quant à ce potentiel de transformation. Néanmoins, je peux constater des éléments de transformations [physiques, psychiques, holistiques].
Tout pratiquant qui vit un processus régulier de Viniyoga et qui s’y engage est « profondément touché ». Il gardera la trace de cette expérience sensible !
De la même manière, le détenu garde cette trace – plus ou moins intense selon la période de pratique.
Pour exemples : Les éléments d’amélioration et de transformation peuvent être physiques notamment en ce qui concerne la région abdominale et digestive ; en ce qui concerne les hernies discales (non aigües) ; en ce qui concerne les douleurs cervicales et céphalées, etc.
Les éléments d’amélioration et de transformation peuvent être psychiques et liés aux stress intenses et répétés : en lien avec les éléments physiques précités, mais aussi en ce qui concerne l’amélioration du sommeil, en ce qui concerne la « gestion » des émotions liés aux contextes stressants, en ce qui concerne les fluctuations de l’humeur, etc.
Les éléments d’améliorations et de transformations peuvent prendre la forme d’une introspection et d’un regard sur sa propre trajectoire de vie (« d’où je viens…vers où je vais… »).
Une personne détenue qui était transférée vers son pays d’origine pour y purger sa peine me dit en m’annonçant son départ : « La prison ne m’a rien appris…mais j’ai rencontré le Yoga ! ».
Quelles difficultés avez-vous rencontrées pour enseigner le Viniyoga dans un environnement constitué par une prison ?
Dans un premier temps, les difficultés étaient liées à la perception que certains détenus et gardiens avaient (ou ont encore) de la pratique du Yoga. En milieu carcéral, le rapport à la virilité y est exacerbé. Le Yoga et quel que soit le contexte, est rarement perçu comme une approche virile et une activité sportive intense.
En plus, j’ai dû me faire connaitre et faire connaître l’approche du Viniyoga. Petit à petit, un climat de confiance s’est installé entre tous !
Je tiens également à souligner le soutien de la direction de la prison pour maintenir un cours hebdomadaire de Yoga…même si mes demandes d’accompagnements individuels en yoga thérapie n’ont pas été suivies d’effets pour l’instant !
Comme dans tout contexte, je pense que la question de « l’engagement » est omniprésente…ici comme ailleurs ! S’engager dans une pratique régulière n’est pas évident ; s’engager dans un cheminement auprès de soi n’est pas évident ; s’engager et dépasser la « couche superficielle » n’est pas évident…
Régulièrement, les détenus disent que l’atelier de Yoga est vécu comme un moment « sensible » de ressourcement. Un rare moment où la personne détenue vit sa respiration, les yeux fermés, une main sur le cœur et l’autre main sur l’abdomen
Comment voyez-vous le rôle du Viniyoga dans le futur du Yoga Thérapeutique dans le monde ?
Le rôle du Viniyoga et du Yoga thérapeutique pourrait, à terme, prendre place durablement dans le monde. L’organisation du monde, singulièrement le monde occidental, atteint une limite qui n’est pas encore assumée. Néanmoins, nombreuses sont les personnes qui questionnent leur mode de vie, leurs douleurs liées à ce mode de vie, aux sens et à l’absence de sens de certains modèles de vie, etc. Tout cela met pleinement en lumière nos souffrances et nos douleurs de même que nos souhaits « d’autre chose ».
Le Viniyoga [et la Yoga thérapie] peut être un bel outil non seulement pour solutionner de manière globale et respectueuse, nos souffrances physiques et psychiques, mais également pour nous soutenir et nous accompagner vers cette « autre chose » qui soit connectée avec nous-même et notre cœur.
Je pense qu’à de multiples niveaux, nous sommes à un croisement. Je pense que la Yoga thérapie peut participer positivement à ce mouvement qui va vers un meilleur ancrage et une meilleure conscience de notre existence sur terre. Un mouvement d’émancipation donc. Et l’avenir nous le dira avec le cœur!